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" Ma littérature est un sport de combat "


Rédigé le Mardi 27 Mai 2025 à 14:16 | Lu 437 fois modifié le Mercredi 28 Mai 2025

Rencontre avec Gaëlle BELEM, une autrice réunionnaise qui fait résonner les voix oubliées



"Ma littérature est un sport de combat"


Comment vous présenteriez-vous en quelques mots à quelqu’un qui ne vous connaît pas ?

Je lui dirais que je suis une autrice encore à ses débuts, puisque je ne publie que depuis cinq ans. J’ajouterais que je suis une Cafrine, un peu parisienne, un peu sauvage, qui a fait des livres son sport de combat et son principal mode d’expression. Je suis aussi celle qui, à travers ses écrits, cherche une raison d’être et la meilleure manière de faire entendre la voix de ceux qu’on entend peu.


En quoi l’île influence-t-elle votre manière de penser, d’écrire, de rêver ?

Je suis témoin oculaire de l’évolution de l’île depuis les années 1980. Son tempérament bat dans ma poitrine. Je savais dès le départ que La Réunion serait le décor et le sujet de mes quatre premiers livres. Mes textes sont aussi métissés qu’elle : une combinaison de langue française et de culture créole. Le battant des lames, la violence volcanique, l’abrupt du relief, le passé esclavagiste… Tout cela se reflète dans la dureté, le cynisme, les thèmes de mes deux premiers romans.


Quel a été votre parcours personnel et professionnel avant de devenir écrivaine ?

Je crois souffrir d’une claustrophobie interne. Je me sens à l’étroit dans cette peau, dans cette vie, au point qu’il m’est impossible de me satisfaire d’un métier ou d’un destin sans sombrer dans une sévère mélancolie.

Mes centres d’intérêt sont multiples : la culture, la jeunesse, le droit, la littérature. J’ai été chroniqueuse radio sur Réunion la 1ère, professeure de latin, d’histoire-géographie, chargée d’enseignement à l’université du Moufia. J’enseigne encore aujourd’hui et je suis également assesseure au tribunal pour enfants. Je voyage beaucoup. Mes livres naissent de ces rencontres, de ces paysages, de ces expériences… et des traumatismes que j’ai entendus.


Quand avez-vous commencé à écrire et ressenti l’envie de partager vos textes ?

J’ai commencé à écrire lorsque lire ne m’a plus suffi. Quand j’ai compris que la solitude n’était pas une malédiction mais un espace-temps idéal que l’on peut peupler de personnages, d’intrigues et de cris de révolte. J’étais alors au collège. L’écriture m’est apparue comme un parfait bouclier contre l’ennui de ma ville-dortoir. J’écrivais comme d’autres aiment : passionnément, intensément, désespérément… un peu inutilement aussi, peut-être.

Mais ce n’est que dix-sept ans plus tard que l’envie de publier est devenue incontrôlable. Parce que le temps passe. Parce que je gagne en confiance ce que je perds en jeunesse. Parce que je m’affranchis du regard des autres. L’écriture est devenue une preuve de ma liberté.


Quels auteurs ou œuvres vous ont donné envie d’écrire ?

Plutôt que ceux qui m’ont donné envie de commencer, je préfère citer ceux qui me donnent envie de continuer : Nicolas Mathieu, Gaspard Koenig, Mike Horn, Monique Pinçon-Charlot, Hemley Boum, Falmarès, Camille Laurens… Tous ont en commun une soif de liberté, un goût de l’aventure, ou un immense courage de dénoncer les inégalités.

Je ne fais pas que lire. Je regarde aussi beaucoup de films. Bong Joon-ho, George Miller, Wes Anderson ou M. Night Shyamalan me stimulent davantage que le Flaubert de mon enfance.

Oui, Victor Hugo m’a donné envie d’écrire. Oui, je retourne encore en pèlerinage à la maison de la Place des Vosges avant chaque lancement de livre. Mais la littérature contemporaine est si foisonnante qu’elle me fait presque oublier qu’on écrivait avant 1960.


Pouvez-vous nous parler de vos romans ? Comment sont-ils nés ?

Un monstre est là, derrière la porte est une fresque sociale que certains qualifient de "tropicale", entre les Simpson et les Rougon-Macquart, avec une touche de Doc Gynéco. J’y raconte la vie d’un couple réunionnais, les Dessaintes, dont la fille rêve de devenir écrivaine. Un texte drôle, cynique, sombre, provocateur, qui met à nu les violences intrafamiliales et les carences affectives.

Le fruit le plus rare est une biographie romancée d’Edmond Albius. La vanille est un personnage à part entière. Le "je" du premier roman devient tour à tour "il" et "elle".

Mes romans mettent en lumière des Créoles en déshérence. Des oubliés de l’Histoire. Ce sont des textes réalistes : on y meurt au rhum et au sucre, on y vole, on s’y perd… parce que soleil et mer ne suffisent pas à rendre heureux.

Sud Sauvage, mon dernier ouvrage, est un recueil de treize nouvelles fantastiques. On y croise des maisons hantées, des forêts ténébreuses, des têtes sans corps… J’y réinvente le fantastique réunionnais à ma manière.


Qu’est-ce qui nourrit votre écriture : l’inspiration ou la discipline ?

Je préfère parler de discipline. D’heures de recherches. De rencontres. Pour Sud Sauvage, j’ai interrogé l’ancien évêque Gilbert Aubry, un médecin légiste… Une simple course sur le front de mer de Sainte-Marie a réveillé une histoire de naufrage. Tout est matière à écrire.


Vos récits plongent souvent dans l’histoire et les réalités de La Réunion. Est-ce instinctif ou militant ?

C’est militant, presque politique. Ma littérature ne vend pas du rêve, elle observe. Elle confronte. Elle combat. C’est une déclaration d’amour à mon île, mais sans fard.


Que souhaitez-vous transmettre à travers vos livres ?

Toutes les émotions : la joie, la tristesse, la peur, la colère. La littérature, pour moi, c’est faire jaillir un faisceau d’émotions à partir du vide. En trois livres, je suis devenue une femme plus sage… et profondément amoureuse. Et cet amour m’oblige. Aujourd’hui, j’essaie de le transmettre au lecteur. L’amour pour mes personnages, pour leur humanité.


Vos ouvrages sont traduits dans plusieurs langues. Comment vivez-vous cette reconnaissance internationale ?

Avec beaucoup de bonheur. Cela me pousse à voyager, à rencontrer des lecteurs du monde entier. Bien sûr, je suis entourée : attachées de presse, éditeurs, amis fidèles. On écrit seul, mais on publie à plusieurs.


Que vous disent vos lecteurs étrangers ? Y trouvent-ils des résonances ?

Pas toujours. Parfois, ils découvrent simplement une autre culture, et cela les passionne. Un monstre est là… a surpris par son humour noir et son style suranné, et pourtant il a été sélectionné pour l’International Booker Prize. Le fruit le plus rare, lui, a connu un bel accueil en Italie — peut-être à cause de leur passion pour la vanille ?


La Réunion racontée en créole, en français, en allemand, en italien… ça vous inspire quoi ?

En arabe aussi, bientôt ! Les droits du Monstre ont été achetés par une maison saoudienne. Cela prouve que c’est possible. Peut-être que La Réunion n’a pas encore trouvé la bonne méthode pour exporter sa littérature. Il est temps de se remettre en question.


Vous êtes l’une des premières romancières réunionnaises à être autant diffusée. Une fierté ? Une responsabilité ?

Une responsabilité, d’abord envers moi-même : je dois donner le meilleur. Et envers les jeunes auteurs réunionnais. Il ne faut pas attendre d’être adoubé. Nous sommes libres. Nous écrivons pour le livre, rien d’autre.


Quels sont vos projets à venir ?

Je navigue entre Paris et le Royaume-Uni pour la sortie anglaise du Fruit le plus rare (The Rarest Fruit), puis les États-Unis, le Maroc, l’Italie… Et j’écris, mais je préfère garder mes projets pour moi.


Que diriez-vous à un ou une jeune Réunionnais·e qui rêve d’écrire ?

Lisez. Des centaines de livres. Regardez des films, fréquentez les théâtres. Beaucoup veulent être lus sans lire. Écrire demande humilité, patience, essais, erreurs. Alors je leur dirais :
Cessez de rêver. Agissez.



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