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Le tatouage, mon art, ma mission de vie


Rédigé le Mardi 4 Mai 2021 à 09:49 | Lu 363 fois modifié le Mercredi 5 Juillet 2023

Installée depuis 9 ans à La Réunion, Helen Sea Ung est tatoueuse depuis 3 ans maintenant. Elle s’est créée un univers girly et nous a reçu pour nous parler de son métier qui lui permet de guérir les blessures, de partager son amour pour la vie et qui la rend heureuse.



​Parlez-nous de votre parcours...

J’ai toujours rêvé d’être artiste mais par manque de confiance, je n’arrivais pas à me lancer. Le dessin, le rêve d’être comédienne, peintre ou illustratrice, la danse... je touchais à tout. Malgré mon appétence pour tous les arts, le dessin était quand même mon favori. Arrivée à La Réunion, j’ai enseigné l’anglais dans les écoles primaires. Les enfants m’ont fait réaliser ma valeur et leurs réflexions m’ont fait beaucoup réfléchir. Les traumatismes intérieurs ont ressurgi, la dépression et le sentiment d’en avoir marre de vivre en dessous de mes rêves, de m’interdire d’être heureuse et me contenter de ce que j’avais aussi.

​Quel a été le déclic ?

J’ai fait un Burn Out, des crises d’angoisse et beaucoup d’énergie donnée aux autres en m’oubliant. C’est l’élément déclencheur qui m’a permis d’ouvrir les yeux. J’avais déjà vécu une rupture difficile qui m’avait amené aux urgences psychiatriques et là je me suis dit « Helentunevas pas mourir jeune », je n’ai qu’une vie et je veux reprendre le contrôle de ma vie. Il fallait que cela passe par mon sauvetage. J’ai alors découvert ma mission de vie, dans le partage, l’amour que j’ai pour la vie, ma bienveillance, mes valeurs et mon besoin de m’exprimer sur mes expériences.

​A quel moment vous êtes-vous lancée ?

Je n’ai pas renouvelé mon contrat avec l’éducation nationale. Etant au chômage, j’ai pu bénéficier de formations, mais il me manquait du temps et il me fallait une respiration et du coup je passais ma journée à dessiner, à peindre pour me libérer. En tant que modèle photo j’ai été plus libre de m’exprimer et c’était vital pour moi. Je partageais sur les réseaux sociaux mes œuvres mais n’ayant pas fait les beaux-arts, j’avais peur du jugement.
Mais le fait de peindre avec mon cœur était le plus important.
Cela m’a permis de me faire connaitre par d’autres artistes de l’île, et ma fresque murale au Sakifo m’a fait connaitre. Je suis convaincu que le bonheur grandit en partageant et j’essaie de le transmettre à travers mes œuvres. Le bonheur, l’amour, l’essentiel est que cela fasse rêver et rende joyeux.

​Comment passe-t-on de l’art au tatouage ?

J’ai fait la rencontre d’un tatoueur, qui était un follower, et je voulais découvrir l’univers du tatouage, qui pour moi est très underground et pas très féminin. Il m’a montré quelques bases et c’est parti très vite. Après quelques mois, je commençais à tatouer des personnes qui m’ont fait confiance et 6 mois après, j’ouvrais mon salon. 

​Expliquez-nous votre façon de travailler...

Si j’ai décidé d’une reconversion professionnelle, c’était pour suivre mon cœur. Donc, dans tout ce que je fais c’est la même chose. Je demande à mes clients les raisons pour lesquelles ils veulent se faire tatouer. A partir de là, cela me permet de cerner la personne, ses émotions, et je visualise le dessin. Toutefois, il faut que cela fasse écho à mon univers. Si je n’ai pas d’inspiration et ce n’est pas en adéquation avec mon style d’art, je refuse et j’oriente vers un autre tatoueur. Si la connexion est là, je laisse une porte ouverte, et j’y réfléchis en faisant appel à ma sensibilité.

Le 1er contact se passe virtuellement et on se rencontre sur rdv au salon. Il faut que cela me touche, et on développe ensemble les raisons qui les poussent à se faire tatouer. Je tatoue majoritaire- ment des femmes, et le tatouage se révèle être thérapeutique pour certaines. J’aime à dire que « les gens qui viennent me consulter », sont dans un processus d’introspection. Ces personnes qui ont traversé une période difficile, sont des femmes résilientes, souffrant souvent d’un manque de confiance en elle. Le tatouage est une affirmation forte.

En tant que femme, le tatouage leur per- met de se réconcilier avec leurs complexes et leur corps.
Suite à des opérations, le corps a changé, on s’est oublié en tant que femme.
Le tatouage ornemental, sensuel, permet de faire la paix avec tout cela. Lien de confiance est tel que je ne montre pas le dessin à l’avance. Il faut que la connexion se fasse avec moi et entrer dans mon univers.

Lors de la découverte le jour J, il faut que la communication soit là et l’inspiration suit. Le maître-mot est de prendre du plaisir et j’y met mes émotions positives. Je propose également des « flash tatoo », cela peut permettre à quelqu’un d’indécis d’avoir un coup de cœur et de se lancer... dans ce cas- là, c’est premier arrivé, premier servis !

Vous avez témoigné sur le viol que vous avez subi, pourquoi avoir fait cette démarche publiquement ?

J’ai en effet posté une vidéo youtube publique, après avoir au préalable pré- paré un discours écrit car je suis très émotive, où je décide de tout déballer sur le viol que j’ai subi à l’âge de 21 ans. Suite à la confidence d’une cliente qui m’a parlé de son viol, son histoire m’a fait écho. Moi, je le vivais comme une honte, j’étais dans le déni. En soutien à ma cliente, je me suis dit qu’il fallait que je m’aide, que je saute le pas et que je porte plainte aussi. S’en suit un échange avec un officier de police très bienveillant qui m’encourage dans la poursuite de ma démarche.

Je me lance alors dans des dépositions et dans une procédure complexe et détaillée. Le poids de ses 15 années de silence s’est physiquement fait ressentir et la noirceur s’en ai allée. J’éclate en sanglot et je me dis à ce moment-là que s’est tellement libérateur qu’il faut encourager les personnes à le faire. Le soir même, je décide de faire la vidéo et me servir de ma notoriété pour que cela ait un impact. Il faut en parler, soutenir, inspirer, être là pour faire comprendre qu’on peut devenir capitaine de notre bateau et ne ne plus être une victime, la honte doit changer de camp.

Je rencontre alors d’autres victimes, créée des cercles de discussion pour sortir du silence via des échanges hyper-constructifs. Dans le même temps l’affaire est classée car l’auteur des faits est décédé. Cela m’a alors complètement libéré, car ce qui me faisait encore souffrir c’est ce lien invisible de savoir qu’il était quelque part à penser à moi et qu’il aurait pu faire d’autres victimes. Il est décédé 6 mois avant mon dépôt de plainte.

Qu’est-ce qui vous a aidé dans votre processus de guérison ?

La thérapie en EMDR m’a beaucoup aidé à visualiser. C’est un retour dans le passé du traumatisme, une sorte de « déprogrammation et remise à neuf » dispensé par Alexandra Muller. Lors de la séance, on creuse profondément, tout remonte à la surface. On n’oublie pas, mais cela permet de ne plus y associer d’émotions négatives et de ne plus refouler. C’est une expérience dans ma vie qui n’a plus d’impact sur ma vie.

Dans ma vie sentimentale, je m’interdisais d’aller vers des hommes biens. Je pensais que quand ils allaient voir que je suis « sale », ils allaient me rejeter donc il valait mieux prendre les devants. Cela a créée de la dépendance affective, des relations néfastes dominant-dominé... Je dois me construire et me réparer, me libérer avant de pouvoir construire et donner vie, chose impossible à faire en étant brisé. Mon conseil est de voir un thérapeute, un spécialiste en victimologie, en traumatisme, voir la police, car la famille, souvent, n’a pas les mots ou la démarche appropriée par rapport à une personne compétente en matière d’abus sexuels.

Ma présence sur les réseaux sociaux, m’a permis de délivrer ce message, peu importe ce qui arrive dans le passé cela ne doit pas te définir et t’empêcher de vivre. Dans le cas du viol ne pas s’empêcher d’être sexy, les photos m’ont réconciliées avec ma féminité. Je ne dois pas m’interdire d’être femme. Ne pas laisser mon violeur m’empêcher d’être heureuse.

La société patriarcale qui excuse les bourreaux (en mode survie, on laisse faire) trop de tabous persistent, alors que ça ne le devrait pas. J’ai envie de montrer des gens résilients qui ont surmontés le drame, c’est le visage de la victoire que je veux montrer et pas celui de la honte.


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